Une parabole sur l'Eglise et l'inclusivité
C’était
une contrée étendue, aux paysages variés, déjà explorée de longue date et
pourtant encore mystérieuse, inattendue. Depuis longtemps, ceux qui peuplaient
le pays avaient pris l’habitude de bâtir des hôtels et d’y résider. Il en
existait maintenant des milliers, de tout type.
Le plus important de ces hôtels était l’hôtel de
l’Ouest. Pour beaucoup de ses résidents, c’était tout simplement l’Hôtel. Ainsi
était-il exclusivement dénommé par le vieil homme à la robe blanche qui en
avait la garde. Ce grand hôtel comportait deux types de chambres : celles
à deux lits et celles à un lit pour les majordomes (sauf ceux qui connaissent
les langues roumaine, ruthène ou égyptienne). On avait pendant longtemps
interdit aux habitants de l’hôtel de l’Ouest de lire sans l’accompagnement d’un
majordome le manuel du fondateur ; on se fiait aux interprétations qu’en
avaient donné d’anciens majordomes. Leurs portraits continuaient à orner les
murs des chambres et des couloirs. On trouvait un nombre impressionnant de ces
portraits dans la dépendance : c’était un petit hôtel qui regroupait ceux
qui n’entendaient pas que les commentaires du manuel soient lus dans une autre
langue que le latin. Ils étaient respectés et même parfois un peu craints dans
le grand hôtel. Les majordomes visitaient parfois les nombreuses chambres du
vaste bâtiment mais peu de résidents se déplaçaient encore dans les grandes
salles de restaurant. Beaucoup avaient choisi d’organiser leur chambre à leur
guise, en dépit des rigoureuses recommandations du vieil homme à la robe
blanche ; d’autres avaient décidé de ne plus y habiter et étaient devenus
de facto des sans-domicile-fixes même s’ils tenaient beaucoup à être toujours
considérés comme des clients de l’hôtel de l’Ouest.
Sur la colline qui faisait face à l’hôtel de
l’Ouest, se dressait l’hôtel de l’Orient. Il était assez rigoureusement
semblable à l’hôtel de l’Ouest dans son aspect extérieur ; seul différait
l’aménagement intérieur. Chaque étage correspondait à une langue différente et
la majorité des chambres, même celles des majordomes, comportaient deux lits.
Les résidents de l’hôtel de l’Orient l’appelaient le vrai hôtel et se
refusaient farouchement à adresser la parole à ceux qui ne s’exprimaient pas
dans leur langue. Mais ils acceptaient volontiers qu’on se déplace pour admirer
les fresques qui ornaient le couloir ou pour entendre les antiques chants dont
ils diffusaient partout les enregistrements. Mais cela ne suffisait pas à
remplir les chambres.
Ces deux grands et vénérables hôtels faisaient ombrage à de plus petits hôtels et prenaient ombrage de leur existence. Les hôtels de la restructuration avaient été fondés quand des majordomes et des résidents avaient retrouvé le manuel du fondateur. Ils n’étaient plus aujourd’hui les seuls à le lire mais eux avaient tiré de leur lecture un programme de restructuration plus ou moins radical. L’hôtel d’Angleterre avait ainsi reproduit la façade de l’hôtel de l’Ouest en en modernisant l’intérieur ; de manière générale, la gestion des petits hôtels était démocratique et les chambres confortables mais austères. Un excellent programme d’animation culturelle compensait la grande sobriété du décor. Beaucoup des petits hôtels étaient rattachés à la Fédération des petits hôtels et avaient instauré un conseil économique pour dialoguer avec les hôtels de l’Est et de l’Ouest. Mais malheureusement, seuls quelques majordomes et quelques résidents se sentaient concernés par ce dialogue ; certains, par contre, voulaient étendre ce dialogue aux autres contrées dont la géographie restait mystérieuse.
Malgré une si grande diversité d’hôtels, beacoup
préféraient garder leur statut de sans-domicile-fixes ou au moins en adopter le
mode de vie. Il y avait aussi beaucoup de pélerins qui erraient d’hôtel en
hôtel ou décidaient parfois de faire du camping sauvage sur les flancs des
collines.
Certains résidents n’étaient bienvenus que dans très
peu d’hôtels, notamment ceux qui préféraient les chambres à un grand lit ou ne
pouvaient dormir que dans celles-ci : on les accusait de vouloir mener
grand train quand ils ne cherchaient le plus souvent qu’une simple chambre. Un
archéologue prétendait qu’il existait dans les sous-sols des grands hôtels des
chambres à un grand lit mais presque toute la communauté hôtellière s’était
liguée contre lui ; quelques petits hôtels avaient choisi d’offrir
quelques chambres à un grand lit : beaucoup le faisaient cependant dans le
secret ou tout au moins la discrétion car on savait que quelques petits hôtels
avaient vu ce nouvel aménagement des chambres sanctionné.
Jean Vilbas