C'est demain le troisième anniversaire du baptême de T. sur profession de sa foi ; voici la méditation apportée à l'occasion de son baptême et de son accueil comme membre au sein d'une communauté chrétienne aujourd'hui dissoute.
Cher
T.,
Tu
as aujourd’hui choisi de rendre publiquement témoignage de ta foi et tu as
souhaité que les paroles de cette lettre attribuée à Jean accompagnent ta
démarche.
On sait peu de choses
sur l’auteur, les destinataires ou les circonstances particulières de
l’ensemble de lettres attribuées à
l’Ancien. Elles brossent le portrait d’une église mise sous pression :
pression extérieure de nouveaux enseignements qui risquent de détourner les croyants
de l’essentiel ; pression interne aussi de l’affadissement de la foi et
des conflits qui minent la vie d’une communauté chrétienne – mais ceci ne
concerne que le premier siècle, bien entendu !
C’est une constante de
la lettre de mêler les argumentations doctrinales et les considérations pratiques
comme pour rappeler : c’est à la manière dont le christianisme est vécu
que la pertinence de ses affirmations est évaluée.
Dans les versets que
nous venons de lire, l’auteur livre en quelque sorte la clé de son discours. La
richesse de ces raisonnements peut se résumer en deux déclarations :
l’amour est ce que Dieu nous révèle de lui-même
l’amour que nous nous portons révèle en quel Dieu nous croyons
« Dieu est
amour » : cette déclaration revient à deux reprises dans ce texte
(v.8 et v.16). Définition brève, simple, qui tranche avec des formulations
doctrinales plus élaborées. Nous pouvons rester avec beaucoup de questions sur
tous les autres enseignements au sujet de Dieu : son rôle dans la
création, son rôle dans l’histoire, sa souveraineté, sa puissance, sa
prescience … Rien de tout cela ne rencontre de notre part une parfaite et
entière unanimité voire compréhension mais l’essentiel demeure de connaître
l’amour de Dieu.
Comment cet amour
peut-il être connu ? Jean invite à regarder à Jésus de Nazareth … et il
concentre son histoire à la croix. Un certain film très sanguinolent voudrait
que nous lisions la croix exclusivement
comme une souffrance … évidemment, elle l’a été mais elle reste avant tout
témoignage d’un amour qui se donne jusqu’au bout, jusqu’à son extrême limite.
Dire Dieu est amour soulève autant de questions que cela n’en résout :
impossible de réconcilier cette déclaration avec le mal et le malheur dont
nulle existence n’est à l’abri … Mais il faut choisir de regarder l’amour de Dieu
là où il se donne à voir c’est-à-dire à la croix.
L’amour de Dieu est le
fondement, l’exemple et la source de notre propre amour. Il est impossible sans
l’amour de Dieu auquel il n’est qu’une réponse seconde et en même temps, il en
est la seule conséquence logique attestable. L’amour ne se possède pas, ne
s’évalue pas … il se reçoit et se donne et se multiplie dans ce fructueux
échange. C’est pourquoi il est juste de parler avec Lytta Basset de la condition de l’homme sans Dieu comme
d’une fermeture à l’amour. Là où il n’est pas d’amour, il n’est pas de Dieu –
et peut-être que là où il y a de l’amour, il y a déjà Dieu même si on ne peut
encore le nommer. Mais pour qui accepte d’ouvrir sa porte, la puissance de
l’amour de Dieu est telle que même la peur peut être vaincue. Dieu n’est plus
celui dont je crains le jugement mais celui dont je découvre l’amour
inconditionnel et gratuit. Cette gratuité n’est ni complaisante ni
écrasante : elle a un coût – celui de la croix – et invite chacun au don
de soi.
L’auteur attache
beaucoup d’importance aux relations mutuelles des chrétiens. On aurait pu
attendre dans cette lettre polémique un plus long développement doctrinal mais
on trouve martelée cette seule exigence : aimons-nous les uns les
autres ! La marque de l’église n’est pas d’abord d’être une, sainte,
universelle et apostolique mais d’être une communauté aimante ( « A ceci
tous connaîtront que vous êtes mes disciples … ) ; le vrai trésor d’une
église n’est pas d’abord dans ses traditions, ses doctrines, ses liturgies mais
dans l’amour mutuel. Ceci n’abolit pas forcément les autres choses mais les
replace dans leur juste
perspective : « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour
le sabbat » ; Jésus, guérissant le jour du sabbat, démontre que nulle
tradition ne saurait entrer en concurrence avec le choix qu’il effectue en
faveur de l’humain.
La force de cet amour
mutuel, c’est qu’il révèle Dieu … lourde et peut être écrasante responsabilité
si ce n’est que Dieu en est lui-même le garant et la source. Le manque flagrant
d’amour des chrétiens a certainement été une des raisons de l’éloignement de
beaucoup non seulement des formes et des pratiques mais aussi de l’essentiel du
christianisme. Ecrasante responsabilité … ou éloquent témoignage de la confiance
que Dieu place en nous pour faire de nos relations le signe voire le canal de
son propre amour.
L’auteur ne cesse de
renvoyer ses lecteurs vers leur responsabilité pratique, concrète, vers la
traduction sur le terrain de leur amour. Il n’y a pas d’autre critère de
l’amour authentique que le prochain lui-même. C’est pour cela que Jean lui
donne une communauté humaine pour cadre véritable.
J’en viens à ton
baptême, cher T.
Puisque tu as choisi ce
texte, c’est parce que tu y reconnais le christianisme auquel tu as depuis de
nombreuses années déjà adhéré. Dieu t’aime : cela, tu le sais et vivre de
cet amour, c’est le chemin sur lequel tu veux t’engager. Ton témoignage nous le
disait tout à l’heure. J’aimerais juste reprendre deux traits saillants de
cette conviction pour toi.
Première conviction.
Dieu t’aime … et il t’aime dans tout ce que tu es : tu l’as découvert
à travers le long cheminement vers l’acceptation de ton homosexualité – pas
comme le centre de ton existence mais comme un des éléments qui te caractérise.
L’auteur de la lettre insiste sur la venue de Jésus dans la chair : certes
il y est mort comme nous mais il y a aussi vécu. Alors, pour nous chrétiens,
s’ouvre cette certitude : il y a bel et bien une vie avant la mort et elle
vaut d’être vécue, pleinement vécue parce qu’elle a été habitée par le Fils de
Dieu lui-même. Oui, tu peux aimer la vie : c’est-à-dire la nature, les
lapins, les visites d’églises … tu connais la suite de la liste. Nul besoin
d’un Jésus gay pour vivre ce que tu es ; il suffit de voir en Jésus celui
qui nous dit que la vie, quand elle est orientée par le Royaume, vaut d’être
pleinement aimée et vécue parce qu’elle est le lieu où advient le règne de
Dieu.
Deuxième
conviction : tu as beaucoup attaché à ton baptême l’idée d’une adhésion à
la famille chrétienne. La liturgie d’accueil de ce soir le redira encore. Tu as
beaucoup cherché – merci Internet – quelle famille concrète pourrait
t’accueillir et nous sommes heureux que tu aies choisi cette communauté.
L’image de l’église-famille est belle ; elle me rappelle ma visite
estivale à l’église baptiste de Centocelle, dans la banlieue de Rome :
elle rassemblait plusieurs personnes ayant été élevées dans un orphelinat géré
par l’église et, trente ans plus tard, ces frères et sœurs ont gardé la coutume
de partager le repas du dimanche comme une véritable famille.
J’espère que tu te
sentiras accueilli parmi nous, que tu chemineras longtemps avec nous – car tu
es à l’âge où il reste encore bien des décisions à prendre – et que nous apprendrons
les uns avec les autres et avec toi à être les uns pour les autres une famille
aimante de personnes qui ne se sont pas choisies mais ont choisi de vivre
ensemble de l’amour de Dieu.
Que le Seigneur, fidèle
ami, t’accompagne en ce jour et tous les jours de ta vie. Amen !
Jean Vilbas, méditation apportée lors d’un service de baptême et d'accueil au sein de l'Eglise
chrétienne Alliance, le 22 août 2004