La
particularité de l’évangile de Marc, c’est la rapidité d’un récit qui enchaîne
les paroles et les actions de Jésus les unes aux autres.
Ceci est vrai
dans ce texte fondé sur deux
épisodes :
* les débuts
de la prédication de Jésus
* l’appel des
premiers disciples
Ceci est vrai
aussi par rapport à ce qui précède : l’évocation du ministère de Jean-Baptiste,
le précurseur !
Aussitôt dit,
aussitôt fait : tel pourrait être le résumé de ce passage ! L’adverbe
grec euthus - traduit
par aussitôt que l’on retrouve deux fois dans notre passage et quarante-et-une
fois dans tout l’évangile de Marc souligne autant la rapidité des actions que
la logique de leur enchaînement !
Aussitôt dit,
aussitôt fait ou plutôt : aussitôt fait, aussitôt dit !
Un prophète
s’en est allé, un autre advient dont la parole est encore plus puissante, la
prédication encore plus décapante ! Si Jean-Baptiste inscrivait son
message sous le signe de la préparation et de l’attente, Jésus fait sa
proclamation dans l’instant !
Elle tient en
quatre thèmes : deux déclarations et deux invitations !
Première
déclaration ! « Le temps est accompli ! » :Il y a, dans le
Nouveau Testament, plusieurs mots pour désigner le temps : celui dont il
est question ici n’est pas ce temps qui s’écoule vide de tout sens ni celui qui
répète à l’infini son cycle mais le kairos,
c’est-à-dire le moment particulier de la faveur et de l’action de Dieu. Cette
première déclaration peut nous heurter : nous préférons souvent
l’incertitude qui ouvre tous les possibles ou la routine qui, sans surprise,
nous accompagne et nous procure l’illusion. Cette première déclaration nous dit
simplement que notre histoire, et dans cette histoire nos vies, ne sont pas
livrées au hasard de la chronologie mais exposées à l’irruption de la bonté de
Dieu qui leur donne sens.
Deuxième
déclaration ! « Le royaume de Dieu s’est approché » : ce
qui fait irruption dans ce temps n’est rien moins que le règne de Dieu –
entendez son autorité. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit ici ni d’une
domination tyrannique, ni d’une débauche d’effets spéciaux, il ne s’agit ici de
rien qui emprisonne le libre-arbitre ou frappe les regards ! Mais
seulement de cette bonne – et joyeuse – nouvelle que le temps de Noël nous a
rappelé de façon singulière et que ce temps de l’année liturgique dit ordinaire
n’annule absolument pas : dans sa bonté, Dieu a fait vers nous les premiers
pas.
Première
invitation ! « Convertissez-vous » : voilà une
interpellation qui nous prend les uns et les autres à rebrousse-poil ! Les
plus pieux d’entre nous diront qu’il ne nous appartient de nous convertir et
qu’à l’Esprit de Dieu seul appartient le pouvoir de transformer nos cœurs de
pierre en cœurs de chair. Soit ! Ce qui advient ici, c’est l’urgence de la
transcription pratique de ce que nous savons. Certes, c’est la bonté de Dieu
qui nous touche et nous pousse à la conversion ; ce qui signifie que ni
nos peurs ni même les circonstances de la vie qui peuvent conférer à nos
expériences spirituelles un zèle amer n’ont à le faire ! ce qui signifie
aussi que c’est à chacun et chacune d’entre nous qu’il appartient de changer
notre manière de penser, de voir le monde et d’y vivre, d’accepter d’être
retournés, bouleversés, transformés par la bonté de Dieu !
Deuxième
invitation ! « Croyez en la Bonne Nouvelle». C’est par cette expression
que Marc introduisait le récit que nous venons de lire. Qu’est-ce qui fait de
cette annonce de temps accompli, de royaume inauguré et d’appel à la conversion
une bonne nouvelle ? Une même référence à un thème qui traverse tout
l’évangile de Marc dans la précipitation des paroles et des gestes de
Jésus : Dieu est bon ! Ce message est bon – c’est d’ailleurs le sens
du mot euangelion - car il vient
de la bonté de Dieu, car il dit la bonté de Dieu, son irruption dans notre
temps, sa sollicitude et sa prévenance, sa puissance transformatrice !
Trop beau et
certainement utopique me dira-t-on ! C’est précisément là où notre foi est
sollicitée ; là où nous sommes invités à donner notre confiance à un
message qui nous parle d’un Dieu différent de tous ceux que pourrions ou
voudrions imaginer – ne serait-ce que pour rejeter l’idée même de Dieu :
le Dieu dont il est ici question est un Dieu proche et non un lointain despote
ou un organisateur qui s’est retiré de l’univers ; un Dieu qui vient à nous
dans sa grâce et non une divinité qu’il nous faudrait amadouer pour tenter de
l’approcher, à coups de mérites ; un Dieu qui vient changer nos vies et
non nous inviter à les subir en attendant des jours meilleurs ; un Dieu
qui se révèle dans la proximité, la sollicitude, la parole et les gestes
transformateurs d’un homme comme nous : Jésus de Nazareth !
C’est vers
Jésus que pointent les quatre thèmes de la prédication inaugurale : il
vient dans notre histoire humaine, il manifeste la bienveillante autorité de
Dieu contre toutes les puissances de la mort, il transforme le vie de celles et
ceux qui acceptent de s’exposer et de répondre à son appel, il est le cœur de la Bonne Nouvelle…
L’évangéliste aurait simplement pu mettre dans la bouche de Jésus cette seule
invitation : « Croyez en moi » ! Mais tout son récit est
structuré, en dépit de sa rapidité, sur un mystère qui peu à peu
s’élucide : le sens de la mission et l’identité de ce prophète aux paroles
si étonnantes !
Et cela vaut
en effet la peine d’en redécouvrir l’étrangeté voire l’impertinence pour nous
laisser à nouveau rejoindre et bouleverser par elles quelque 2000 ans plus
tard ! Il vaut aussi d’oser aussi nous demander si le temps qui nous
occupe, si le(s) royaume(s) que nous cherchons, les changements auxquels nous
consentons, les bonnes nouvelles que nous espérons nous renvoient toujours à la
personne de Jésus ! Si tel n’est pas le cas, nous risquons fort de nous
égarer.
Aussitôt dit,
aussitôt fait ! Dès le départ, quelques personnes se trouvent associées à
ce mystère : Simon, André, Jacques et Jean … : de simples pêcheurs dont la
vocation n’est pas forcément reniée – ils vont bien continuer à pêcher - mais
dont l’existence se voit complètement bouleversée ! « Venez à moi et
je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes ! » : voici une
invitation et une promesse qui s’ancrent à la fois dans le quotidien de ces
hommes et dans la radicale nouveauté de vie qu’implique l’Evangile.
Aussitôt dit,
aussitôt fait ! Le texte ne nous dit rien des raisons de leur élection ni
de leurs perplexités ou de leurs questions ; il ne fait que souligner leur
obéissance à l’appel reçu de Jésus en les entraînant dans la même rapidité de
la narration. Il ne s’agit donc pas pour eux de tout comprendre mais de
répondre à l’appel de Jésus et à entrer dans son mystère. Evidemment, ni ce
texte ni ma méditation ne font l’apologie d’une confiance aveugle ou d’une foi
qui ferait taire toute réflexion. Ce qui est ici présenté, c’est le début du
cheminement d’hommes qui choisissent de se placer comme dit le texte «derrière
Jésus» et de voir leurs questions et leurs réponses éclairées par sa
personne et par l’invitation qui leur est faite de travailler avec lui.
Nous n’avons
peut-être jamais entendu un appel aussi radical. Mais ne nous méprenons pas !
L’appel spécifique de ces quatre disciples naît, comme l’indique la rapidité du
récit, dans le prolongement d’un message adressé à tou(te)s et il éclaire ce
cheminement qui nous (a) fait et continue à nous faire souvent passer de
l’écoute attentive des promesses et des exigences de Dieu au désir de les voir
s’inscrire au plus profond de nos vies ! C’est à ce moment là, quand nous
pouvons enfin les recevoir comme une invitation particulière, qui va affecter
notre quotidien que pour nous se manifeste le temps de la bonté de Dieu !
qu’en nos vies advient le règne de Dieu ! que nos demi-tours ne nous
conduisent pas vers des impasses mais vers une vie renouvelée ! que nous
devenons tout à la fois auditeurs et témoins de la Bonne Nouvelle de
l’amour de Dieu pour toute l’humanité cad de toi et de moi, de chacun et
chacune d’entre nous et de chacun et chacune des vies que nous croisons !
Dieu fidèle
qui viens me visiter, ne permets-pas que je m’installe confortablement dans la
routine du temps ou que je me croie à la merci de son absurdité : viens le
remplir de ta présence et que j’y reconnaisse l’irruption de ta bonté ! Dieu de
grâce qui t’approches de moi, donne-moi de rechercher toujours plus et toujours
mieux ta présence ! Dieu mystérieux des bouleversements, retourne ma vie
par ta bonté ! Dieu de l’Evangile, accorde-moi de saisir avec joie et avec
confiance ton amour inconditionnel pour moi et l’humanité tout entière ! Dieu
qui m’invites au témoignage, apprends-moi au jour le jour comment te suivre et
te servir. Amen.
Jean Vilbas, méditation apportée à l'Eglise Réformée de Maubeuge le 22 janvier 2007