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21 décembre 2007

Luc 24 : 13-35

arcabas_emmaus_aubigny_les_potheesCe passage semble être d'un usage universel ; je l'ai entendu prêcher lors d'une bénédiction d'union et d'un service funèbre, lors de réunions d'évangélisation et dans le temps pascal aussi, bien sûr ! Alors pourquoi ne pas y regarder aussi dans ce temps de retraite de Noël qui marque également les 10 ans de votre communauté ? Si ce texte est si fréquemment utilisé, c'est parce qu'il contient cette simple expression de l'expérience chrétienne : "Jésus s'approcha fit route avec eux" (v. 15). Merveilleuse promesse qui nous laisse entrevoir nos vies avec leurs joies et leurs peines, la diversité de leurs rythmes et parfois leurs complexités comme accompagnées par le Christ !

Je retiendrai pour cette étude trois thèmes spécifiques de ce si célèbre passage sans prétendre en épuiser toutes les richesses !

Il s'agit d'abord d'un récit de résurrection ou plus  exactement d'un des récits d'apparition du Ressuscité.

Le Nouveau Testament ne nous propose en fait aucun récit factuel de la résurrection de Jésus ; notre foi repose sur deux types de témoignages : ceux des disciples qui se rendent au tombeau vide et ceux des disciples à la rencontre desquels se présente Jésus.

Le chapitre 24 de Luc dont est extrait ce passage repose sur cette même division :
- les versets 1-12 évoquent le déplacement des femmes puis de Pierre au tombeau
- les versets 13-35, la rencontre des disciples avec Jésus sur le chemin d'Emmaüs
- les versets 36-53, l'apparition de Jésus dans la chambre haute puis à Béthanie (qui se conclut par un envoi missionnaire).
Tout le chapitre est fondé sur une tension entre  la disparition du corps mort et l'apparition d'un Jésus méconnaissable ;  c'est de cette tension que surgit la conviction apostolique : Dieu a ressuscité Jésus d'entre les morts.

Entre les actes et les paroles du "prophète puissant" évoqué par les disciples (v. 19) et "l'entrée dans la gloire" dont parle Jésus (v. 26), il n'y a pas un surhomme qui triomphe de la souffrance et de la mort mais un homme qui souffre, agonise, meurt et est ressuscité par Dieu  (comme le suggère l'aoriste passif du v. 34). Sortir du tombeau est certes le premier acte de l'entrée de Jésus dans sa gloire mais aussi et surtout le dernier qui associe le Verbe incarné à mon humanité : de la crèche à la croix mais aussi de la croix au tombeau et du tombeau à la résurrection, Jésus reste solidaire de nos existences fragiles. C'est parce qu'il a été ressuscité que je confesse Jésus comme le premier né d'entre les morts et que j'ai confiance en lui pour ma propre résurrection.

Peut-être que ceci heurte nos convictions ; peut-être sommes-nous déçus dans nos attentes religieuses comme les disciples ("nous avions l'espoir qu'il était celui qui devait délivrer Israël" v. 21). Il vaut de nous demander ce que sont nos attentes ainsi que nos nuits et nos matins de doute.

Le texte nous invite à suivre un parcours de foi.

Un des verbes clés de ce chapitre est le verbe voir (traduisant d'ailleurs plusieurs verbes grecs) :
- avant notre passage, les femmes sont perturbées de ne plus voir le corps de Jésus
- elles sont d'ailleurs dispersées par les anges qui leur disent : "Ne cherchez pas parmi les morts celui qui est vivant" autrement dit : "Circulez, il n'y a rien à voir !"
- puis Pierre qui ne voit rien non plus est "frappé d'étonnement"
- après notre passage, Jésus se donne à voir aux onze et aux disciples
- enfin, il les quitte

Ce scénario général est reproduit à petite échelle dans le cadre privé de notre passage :
- Jésus s'approche de disciples qui ne le reconnaissent pas (v. 15)
- à la fin du passage, il disparaît de leur vue
- au coeur du passage, leurs yeux sont ouverts par un signe : celui de la fraction du pain.

Pour parvenir à ce discernement, Jésus met en place une stratégie didactique (la même qu'appliquera Philippe dans la rencontre avec l'eunuque éthiopien rapportée en Actes 8) :
- s'approcher et donc faire route avec
- se mettre à l'écoute et donc faire parler
- confronter aux incohérences et donc faire réagir
- renvoyer aux Ecritures et donc faire comprendre
- se rendre disponible et ainsi faire voir
- se retirer pour faire grandir
Tout le texte souligne l'initiative première de Jésus et en même l'invitation qui ne cesse d'être proposée aux disciples de faire un pas de plus.

Ce cheminement de foi rejoint le nôtre ! C'est le projet de l'ensemble du cycle Luc/Actes de mettre en avant cette pédagogie de la foi qui s'ouvre à Dieu et à l'autre pour que ces ouvertures deviennent nôtres !

Le texte nous montre une communauté en germe.

Elle est constituée de deux hommes qui vivent ensemble sans que le texte précise un lien familial particulier ; s'il ne s'agit pas d'un couple gay rendu invisible par vingt siècles d'exégèse, il s'agit pour le moins d'un foyer peu commun !

Ces disciples sont en chemin : ils participent du mouvement qui structure l'ensemble du texte par les déplacements du tombeau à la chambre haute, des chemins aux foyers de Jérusalem à Emmaüs, d'Emmaüs à Jérusalem, de Jérusalem à Béthanie. Reprendre le même chemin comme le font les disciples n'est pas ici piétiner ou régresser : à chaque chemin correspond un nouvel apprentissage. Il y a place pour la stabilité dans ce récit mais même Jésus ne s'"installe" pas ; sa disparition incite au mouvement. Cette expérience des disciples nous renvoie à la part que nous laissons au déplacement dans nos vies individuelles et communautaires.

Ces disciples exercent l'hospitalité, priant  Jésus de rester avec eux et lui ouvrant leur table. Cette commensalité brouille les repères : d'invité, Jésus qui bénit le repas se fait hôte. La  référence eucharistique est forte ; les verbes du v. 30 : prendre, bénir, rompre, donner sont ceux des récits de l'institution de la cène mais aussi ceux de la bénédiction du repas dans la tradition juive. J'aimerais relever une autre piste explorée par John Henson dans The other communions of Jesus : il fait référence aux nombreux repas partagés par Jésus (notamment dans l'Evangile de Luc) qui ne font pas mémoire de sa mort et de sa résurrection mais sont signe de la généreuse hospitalité de Dieu, du Royaume qui est offert à tou(te)s. Sans opposer ces  deux points de vue, il conviendrait certainement d'élargir notre compréhension de la cène centrée sur la croix à cette générosité qui est un des effets de l'amour manifesté à la croix.

Ces disciples sont une communauté missionnaire : la rencontre avec Jésus motive leur retour à Jérusalem pour témoigner de leur expérience. Je suis marqué par l'humilité des partages de Pierre mais surtout des disciples qui disent l'extraordinaire Bonne Nouvelle de la Résurrection de Jésus dans l'ordinaire de la conversation : "ils racontèrent ce qui s'était passé sur la route". Je me dis que le visage de nos églises serait différent si nous savions partager avec la même simplicité l'espérance qui nous habite.

Le cheminement, le compagnonnage et la conversation : trois termes qui décrivent cette communauté en germe et que je laisse à la vôtre  en ces jours où elle fête son dixième anniversaire.

Jean Vilbas, atelier biblique présenté à l'église MCC de Montpellier le 15 décembre 2007

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