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20 novembre 2007

Le recours à l’Ecriture dans les débats sur les questions lgbt

imagesOn vient à la Bible de bien des manières et surtout, en étant habités par des attentes diverses : je dois ce soir en parler dans le cadre d’un séminaire sur les questions de genre et de sexualité, à un public porté par/porteur de ces questions, cultivé et avec des degrés divers de connaissance des textes bibliques ; je dois en parler du point de vue d’un étudiant en théologie qui travaille les discours des Eglises sur les questions lgbt ; j’approche la Bible avec les outils de cette formation mais aussi avec ceux que j’ai reçus de ma formation littéraire ; je l’étudie parfois comme source iconographique dans le cadre de mon métier ; j’y fais aussi référence par rapport à mes convictions qui ont évolué du fondamentalisme vers un christianisme d’ouverture et en tant que croyant homosexuel.

 Ce soir, j’aimerais recentrer mon propos sur la manière dont la Bible a été convoquée dans les débats sur les questions lgbt qui ont agité les Eglises protestantes dans les 40 dernières années – et les agitent encore ; je puiserai largement dans l’étude de près de 30 documents d’Eglises réformées européennes, réalisée dans le cadre d’une maîtrise soutenue à Strasbourg en 2001 et dans un travail similaire sur des documents protestants suisses mené par Pascale Rondez et Konrad Haldiman. Je commencerai par une remarque sur la pluralité des usages de la Bible avant d’évoquer la pluralité des corpus bibliques utilisés et la pluralité des lectures qui en sont proposées.

 1 La pluralité des usages

J’ai introduit mon intervention en déployant quelques unes des approches possibles du texte. Un débat d’Eglises induit lui aussi des circonstances particulières de lecture : collective, plurielle, conflictuelle avec en certains cas, un désaccord ou des lignes de fracture rendues visibles. Mais quel usage est-il fait de la Bible dans le cadre de ces discussions rendues publiques ?

 Le premier usage que l’on s’attend à voir induit est un usage doctrinal ou magistériel : la Bible est ici consultée en tant que source d’autorité en matière de foi et de vie. Source unique et ultime comme l’affirme le sola scriptura réformé même si la tradition, la raison et l’expérience que les pragmatiques méthodistes adjoignent à l’Ecriture comme outils pour la recherche de la vérité ne sont jamais très loin. La question : que dit la Bible ? peut paraître incongrue mais elle est inextricablement liée à la liberté protestante qui fonde le dialogue des hommes sur une Parole reçue de Dieu ; entre certaines mains, la Bible peut toutefois devenir une arme redoutable.

Un autre usage de la Bible se lie au débat sur l’homosexualité. Il s’agit d’un usage que je qualifierais de pastoral : si la Bible est interrogée, c’est pour fournir une réponse définitive ou un accompagnement à une société en pertes de repères, des communautés chrétiennes troublées ou des personnes homosexuelles rejetées ... je cite à dessein des exemples contrastés pour indiquer le rôle que la prise en compte des destinataires peut avoir sur la lecture qui est faite du texte biblique. Ce qui vaut pour le débat est encore plus vrai en situation pastorale de prédication ; je vous renvoie à un article de James Kay : Homosexuality – What then shall we preachers say ?paru dans un recueil de l’Université de Princeton en 1996 Homosexuality and christian community et qui étudie les prédications opposées qui ont conduit l’église baptiste de Riverside à New York à faire choix pour le plein accueil des personnes lgbt.

 Ces deux usages présupposent qu’une application rapide et immédiate puisse être trouvée aux textes dans le débat contemporain. Ils courent le risque de ne pas suffisamment prendre en compte son statut de texte, la diversité de ses genres, les conditions de sa rédaction et son contexte, bref de tout ce qui fait de la Bible une œuvre située dans un temps – ou plutôt des temps – donné(s). Cet usage « littéraire » de la Bible devrait permettre de prendre quelque recul par rapport à l’immédiateté de la réponse.

 2 La pluralité des corpus bibliques

 Approchons-nous justement d’un peu plus près de ces textes. Un certain nombre de références bibliques reviennent plus ou moins systématiquement dans les discours des Eglises protestantes, avec des interprétations divergentes. On peut les regrouper en quatre ensembles principaux.

 Les textes évoquant la condamnation biblique de l’homosexualité sont les plus fréquemment cités. Le corpus n’est pas important, tout au plus une dizaine de versets : on peut donc dire que la question homosexuelle n’est pas centrale dans la Bible ; le caractère en apparence unanime de ces témoignages de réprobation ne peut toutefois pas être négligé. Des disparités existent toutefois entre ces textes.

Un premier sous-ensemble se compose des textes qui apparaissent relativement sûrs : Lv 18:22 ; Lv 20:13 ; Rm 1:24-27; 1 Co 6:9-11 ; 1 Tim 1:10 ; il est attesté par tous qu’ils parlent sinon d’homosexualité, au moins d’une pratique homosexuelle.

Un deuxième sous-ensemble réunit des textes plus discutables. La référence à Gn 19 – l’histoire de Sodome et Gomorrhe – et les textes parallèles de Jg 19 et Jude 7 n’est plus de mise pour stigmatiser les personnes homosexuelles ; même les biblistes les plus conservateurs s’accordent à dire que l’enjeu de ces textes, mis en perspective d’autres textes de l’Ancien et du Nouveau Testament est, à travers une tentative de viol collectif de l’étranger, l’infraction aux lois de l’hospitalité. Il semble donc juste de ne pas y lire une description du comportement homosexuel.

Un dernier sous-ensemble regroupant de textes relatifs à la prostitution masculine sacrée (Dt 23:17 ; 1 R 14:24 ; 1 R 15:12 ; 1 R 22:47 ; 2 R 23:7) est parfois cité, le plus souvent pour être réfuté comme non pertinent dans le débat sur l’homosexualité : il est clair que c’est une pratique cananéenne particulière qui est visée.

Certains prendront toutefois appui sur la totalité de ces textes pour démontrer qu’aucune référence à l’homosexualité n’est positive dans la Bible.

 Un deuxième corpus de textes mobilisés est constitué par les évocations de la sexualité humaine. On cherche ici souvent à fonder un modèle ou une norme ; on lit en tout cas dans ces textes un « projet » de Dieu pour la sexualité humaine qui vient doubler l’inventaire des textes réprouvant les/des pratiques homosexuelles. Dans cette perspective qui vise à inscrire l’étude de l’homosexualité dans une réflexion plus générale sur la sexualité ou la conjugalité, la référence au couple originel, relu à la lumière des sciences humaines et pensé en termes d’altérité est légitimement attendue. En dehors des premiers chapitres de Gn, on rencontre aussi des références à de nombreux textes qui font du couple la métaphore de l’amour de Dieu pour l’humanité ou du moins ont été interprétés comme tels comme Eph 5 ou Cant ; ce sont aussi des textes qui rappellent la bonté de la sexualité. Ce dernier livre présente un caractère non normatif qui mériterait un sort particulier : si on veut bien ne pas immédiatement le spiritualiser et lui ôter une valeur métaphorique, il offre de la sexualité humaine un visage libre, contrasté, égalitaire – puisque posant l’équivalence du désir des deux partenaires et extrayant la sexualité de la finalité procréatrice.

 La question des modèles homosexuels est quasiment absente des textes officiels, si ce n’est pour être réfutée ; le Report of the panel of doctrine on homosexuality de la United Free Church of Scotland, par exemple, fait certes référence à l’amitié de David et Jonathan (1 Sam 18-20) mais il invalide toute interprétation homosexuelle qui pourrait “faire peser une inutile suspicion sur ces relations riches et pleines qui sont possibles entre amis du même sexe”. La recherche de modèles homosexuels est un miroir inversé de la recherche d’un modèle hétérosexuel et peut être contestée comme un littéralisme parallèle ; s’il est difficile d’occulter la part d’homoérotisme dans l’histoire de David et Jonathan – je vous renvoie aux travaux de Thomas Römer sur la question, l’entreprise s’avère plus hasardeuse pour le “couple” formé par Ruth la moabite, ancêtre du roi David, et sa belle-mère Noémi.

 Une dernière thématique, celle de l’accueil, peut être mobilisée.

Il convient d’en relever d’emblée l’ambiguïté. Beaucoup se centrent sur l’accueil que Jésus fait à des personnes marginalisées : la femme adultère (Jn 8) est ainsi délivrée de la condamnation de la loi et invitée à ne plus pécher ; la référence à ce texte reflète la conception assez traditionnelle de l’accueil du pécheur sans son péché.

Je relèverai deux autres motifs d’accueil ou d’inclusion, eux aussi miroirs l’un de l’autre.

Le premier rejoint un des grands thèmes des théologies de la libération gay : souligner que l’Eglise primitive s’est affrontée à la question de l’inclusion dans la communauté des croyants de ceux que la loi excluait. Le livre des Actes tout entier est ainsi relu par ces théologiens mais aussi par d’autres comme l’aventure de l’élargissement des frontières du peuple de Dieu avec le chapitre (10) de l’inclusion du païen Corneille comme pivot ; de même, on notera dans les Evangiles la manière dont Jésus transgresse les régles et les rites pour aller à la rencontre de la diversité humaine et lui faire accueil, notamment lors des nombreux repas qu’il partage; le rapprochement de la question plus contemporaine de l’accueil des personnes homosexuelles se fait par ce que les anglo-saxons appellent congruence : un modèle d’inclusion peut en induire un autre.

L’abolition des différenciations est un autre motif d’inclusion fondé sur Gal 3:27ss : « il n’y a ni juif ni grec, ni homme ni femme, ni esclave ni homme libre mais tous vous êtes uns par la foi en JC ». Cette relativisation des différences peut sembler menaçante pour la construction et l’affirmation des identités ; Paul souligne non l’abolition des différences mais la disparition de leur caractère séparateur ou hiérarchisant. Voici la lecture qu’en fait Susan Durber, théologienne réformée et membre du Lesbian and Gay Christian Movement : “J’interprète la déclaration de Paul : “en Christ, il n’y a plus ni homme ni femme” non comme le règne de l’androgynie mais comme la mention que les marques du genre sont recréées en Christ - nos anciennes manières de définir notre identité comptent pour peu en comparaison de notre nouvelle identité en Christ”. Cette relativisation baptismale des identités mouvantes du genre a été exploitée par les théologiens qui ont intégré les théories queer à leur réflexion, comme Elisabeth Stuart. Je vous renvoie aux travaux de Stéphane Lavignotte qui m’a ce soir cédé la place mais que je vous suggère de réinviter.

 3 La pluralité des lectures

 Si le recours à l’Ecriture est cohérent, dans le monde protestant, selon le principe herméneutique du sola scriptura, il conviendrait de dire quelques mots de la manière de faire référence à l’Ecriture ; je reprendrai ici la typologie élaborée par Pascale Rondez et Konrad Haldiman. Ils relèvent trois manières d’introduire la Bible dans le débat : la référence à des passages isolés dans lesquels il est – ou semble être – question d’homosexualité ; la référence à des ensembles textuels qui ont trait à la conception de l’être humain, de sa dignité, de sa sexualité ; la référence à ce qu’ils appellent des “projets théologiques”. J’ai souligné comment ces niveaux affleurent dans les différents corpus.

 Ceux-ci établis, il convient de nous interroger sur la lecture qui peut en être faite. On parle en matière d’interprétation biblique d’exégèse et d’herméneutique ; certains auteurs donnent à l’exégèse et à l’herméneutique le même sens général d’interprétation. Je réserverai l’emploi du second aux grands principes qui président à l’interprétation du texte et à la recherche du sens qui constituent l’exégèse.

 L’exégèse de ce(s) corpus de textes semble a priori marquée par l’affrontement central de deux lectures : une dite traditionnelle et une qui prend appui sur les données historico-critiques. Je me contenterai de revenir aux lectures proposées des textes de condamnation qui sont les plus significatives. La nécessité de faire appel au contexte est un principe admis par tous. Nul n’ira ainsi défendre l’application de la peine de mort aux personnes homosexuelles ! Je pointerai trois difficultés méthodologiques dans le recours à ces textes de condamnation.

En commençant par le détail. Peu nombreux sont ceux qui interrogent le sens précis de termes comme toevah (abomination) dans Lv ou de paraphysin (contre-nature) dans Rm. Qu’en est-il du terme arsenokoitai (littéralement ceux qui couchent dans le lit des hommes) utilisé dans 1 Co 6 et 1 Tim 10 où il est associé à malakoi (littéralement mous) ? Certains évoquent les cas particuliers de la pédérastie ou de la prostitution masculine mais l’avis est loin d’être unanime.

Sans oublier le général. De manière paradoxale, la référence aux textes, même dans les rapports d’Eglises libérales relève de la méthode que Pascale Rondez et Konrad Haldimann identifient à une extraction thématique de textes. La lecture de ces textes aurait été enrichie si on avait fait appel à des lignes thématiques plus larges : l’idolâtrie dans Rm ou une sexualité délimitée par les trois pôles de la pureté rituelle, de la propriété et de la procrétion pour la Torah - trois thèmes qu’ignore ou relativise notre approche moderne/post-moderne de la sexualité.

Dernière idée : l’interrogation de ces textes ne peut se faire sans interrogation parallèle du monde. L’appréciation de la pertinence de l’application de ces textes à un contexte contemporain est largement dépendante  de la manière dont est envisagée la nouveauté du concept d’homosexualité. Je cite un rapport daté de 1991 de la United Reformed Church (Homosexuality, a christian view) : “Tous les passages habituellement cités traitent le comportement homosexuel comme une activité librement choisie. Ils ne considèrent pas l’homosexualité - ils ne le pouvaient du reste pas - comme une orientation sexuelle donnée ... Si tel est le cas, il nous faudra en tenir compte pour interpréter l’Ecriture ».

 Venons en à l’herméneutique. Je resterai là dans la sphère réformée en vous citant deux principes herméneutiques.

Le premier est l’axiome du sola scriptura. Il vaut pour celles et ceux qui voient dans les paroles écrites de l’Ancien et du Nouveau Testaments la Parole de Dieu comme pour celles  ceux qui font appel aux méthodes critiques. Les attitudes, apparemment contradictoires parce que partant de présupposés différents quant à la nature de l’inspiration divine, se rejoignent dans une commune recherche du sens d’un texte à partir des autres textes bibliques. C’est le principe de l’analogie de la foi opérant par exemple dans le recours aux deux corpus négatifs et positifs ; par exemple, si l’on vient à douter de la pertinence du premier dont l’application peut être circonscrite, on fera appel au témoignage supplémentaire et concordant que représente l’établissement du modèle du couple hétérosexuel. Vous aurez compris que ce principe est peu attentif à la pluralité de la littérature biblique qui en termes de sexualité évoque à côté des couples monogames, la polygamie, le célibat et bien d’autres états.

Un second principe est la recherche d’un centre dans l’Ecriture qui puisse devenir le critère des choix qui sont faits en matière d’interprétation et d’application. Le rapport de l’Evangelische Kirche in Deutschland, de tradition luthérienne, Vivre avec des tensions , rappelle que “le fondement de la foi chrétienne est une personne et pas la Bible comme livre”. Christ et la grâce qui en lui est offerte à tou(te)s est unanimement reconnu par tous comme le centre des témoignages bibliques par tous les chrétiens ; mais tous n’en tirent pas les mêmes conséquences dans leur compréhension du salut – particulièrement du lien entre éthique et salut - et dans les choix qu’elles envisagent pour l’accueil des personnes homosexuelles et leur reconnaissance dans l’église.

Je terminerai ce rapide survol là où je l’ai laissé en m’attachant avec vous au recours aux textes bibliques dans les débats protestants : la question qui se pose est finalement celle de l’autorité de la Bible, une question fondatrice dans l’histoire du protestantisme et à laquelle le débat éthique sur l’homosexualité renvoie. Les plus conservateurs qui agitent la question de l’abandon de l’autorité de l’Ecriture s’y trompent moins que les plus libéraux dont un des plus grands torts est de ne pas avoir exploré comment mieux prendre en compte un témoignage pluriel de l’Ecriture dans un monde complexe.

 Jean Vilbas

Exposé présenté le 12 octobre 2006 dans le cadre de la journée d'études Effigies "Regards croisés du bouddhisme et du christianisme  sur l'homosexualité.

 

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Commentaires
J
Amen ! <br /> <br /> Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père... Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce; car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. <br /> <br /> Jean 1:14-17
T
Je pense que tout passage biblique doit faire l'objet d'une interprétation au regard de l'enseignement et de l'oeuvre de Jésus Christ. <br /> <br /> C'est lui la vraie Parole, la Vérité, le Fondement de toute chose visible et invisible, le Fils de Dieu premier né pour qui le monde entier a été crée. <br /> <br /> Les paroles bibliques rendent simplement témoignage de la Parole suprême qui est venue s'incarner dans Jésus Christ. Elles sont donc subordonnées à son autorité. <br /> <br /> Malheureusement, certains évangéliques inversent cette hiérarchie clairement établie par Jésus lui-même et vouent un véritable culte à la Bible. Ne s'agirait-il pas là d'une forme d'idolâtrie? <br /> <br /> Rendons un culte à Jésus et non à la Bible! Obéissons à Jésus et non à des dogmes humains!<br /> Aimons notre prochain au lieu de le juger!
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