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17 octobre 2007

Luc 4, 1-13

J’ai choisi de lire ce matin avec vous le texte qui sera médité dans la majorité des églises chrétiennes de notre pays. Petit clin d’oeil à Caroline : je n’utiliserai pas ce matin le terme ambigu, très et souvent mal connoté de péché. Vous me direz qu’aborder ce texte qui évoque la tentation de Jésus, c’est du pareil au même... Je ne le pense précisément pas, c’est pourquoi je vous proposerai de lire d’un peu plus près ce récit qui évoque une tentation, une mise à l’épreuve bien spécifique : celle de Jésus de Nazareth. J’en tirerai deux conclusions - provisoires :

- une sous forme de confession de foi

- l’autre vous proposant quelques pistes de réflexion pour accompagner cette journée d’assemblée générale 

Il serait vain de chercher dans ce texte une série de recettes pour affronter les épreuves que nous traversons. Même si nous nous intéressons d’assez près à ce qui se trame dans ce texte, je crains de vous laisser sur votre faim si vous en attendez seulement quelques méthodes éprouvées.

Le texte ne nous indique même pas clairement l’origine de la tentation. Le premier inculpé si je puis dire est le Saint-Esprit : “Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert”. Faut-il en conclure rapidement que Dieu est à l’origine de toutes nos épreuves ? Ce point de vue me paraît difficilement soutenable par rapport à d’autres textes des Ecritures. Le deuxième inculpé, personnifié dans le dialogue qu’il entretient avec Jésus est appelé le diable. C’est avant toute chose une manière de désigner une oeuvre de division, de séparation : de l’homme contre Dieu, de l’homme contre l’homme, de l’homme contre lui-même. Ce n’est pas dans ce récit qui résume les oppositions humaines que connaît Jésus qu’il faut chercher un long discours sur la personnalité de Satan , si personnalité il y a ! Quant au troisième protagoniste, Jésus, faut-il en faire un inculpé ? Notons simplement qu‘un élément banal et légitime de sa vie - “il eut faim“ - déclenche le dialogue. Cette ambiguïté peut faire écho à la difficulté que nous ressentons parfois à déterminer l’origine de nos épreuves : pédagogie de Dieu ? irruption du mal ? amorce de nos fragilités et de nos faiblesses ? Mais il n’y a pas de réponse immédiate dans ce texte.

Le seul élément clair et net de ce récit est le caractère global de l’épreuve qui joue sur tous les tableaux et atteint Jésus sur les plans matériel (la faim), moral (la tentation du pouvoir) et spirituel (justifier de son identité). C’est la deuxième suggestion du tentateur : “si tu es le Fils de Dieu” qui m’autorise à dégager le caractère spécifique de cette mise à l’épreuve et nous invite à nous défaire un moment de nos propres préoccupations pour examiner comment Jésus est tenté.

Actualiser, généraliser la tentation de Jésus pour mieux l’adapter à la particularité de mon expérience me gêne car cela occulte l’essentiel : c’est de Jésus et de son épreuve à lui qu’il est question dans ce passage.

La tentation de Jésus s’intègre dans l’Evangile de Luc à la phase préparatoire de son ministère. Trois étapes et trois lieux se dégagent nettement : les rives du Jourdain, le désert, la synagogue de Nazareth ; trois lieux symboliquement chargés, trois lieux d‘expérience spirituelle intense, trois lieux où l‘évangéliste Luc mentionne l‘action de l‘Esprit de Dieu en Jésus : il descend sur lui aux bords du Jourdain et le conduit au désert ; à la synagogue, Jésus reprend à son compte la parole du prophète Esaïe : “l‘Esprit du Seigneur est sur moi“.

L’étape centrale du désert constitue un point tournant, un moment spécifique de choix dans la préparation de Jésus à son ministère. Le récit du baptême de Jésus met en scène la magistrale intervention de Dieu qui souligne le rôle spécifique de Jésus : “Tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré”. Le texte est extrait du Psaume 2 qui évoque la figure guerrière d’un messie vengeur. A la troisième étape, dans la synagogue de Nazareth, Jésus lit un extrait du prophète Esaïe et l’applique à sa propre personne (Esaïe 61, 1-14).

La question qui se pose à Jésus est de savoir quel type de messie il sera et à quel modèle répondront les moyens qu’il choisira pour annoncer l’irruption du Royaume de Dieu parmi les hommes. Les sollicitations, menaces, promesse et chantages dont Jésus fait l’objet dans ce passage résument comme en avant-première les diverses polémiques dans lesquelles il sera entraîné par la suite : sollicitation du miracle, de l’exercice du pouvoir et de la puissance, remise en cause de sa relation à son Père et de la qualité de son service. Le choix que fait Jésus est celui du service : service de Dieu et service des hommes dans le renoncement à tout ce qui entrave l’autre.

Un dernier mot encore sur l’Ecriture qui est le lieu et l’instrument de la tentation dans ce récit. On a beaucoup fait remarquer qu’elle est l’arme utilisée par Jésus pour couper court à toute sollicitation et à toute séduction : trois “il est écrit” répondent aux trois suggestions du tentateur. Mais attention : une de ses suggestions s’appuie elle-aussi sur un “il est écrit”. Ce sont bien deux manières d’utiliser l’Ecriture qui sont mises en perspective. Il est intéressant de remarquer que les citations de Jésus appartiennent au même corpus - le livre du Deutéronome et en particulier le rappel de l’alliance avec Dieu - et s’ordonnent entre elles de manière logique autour de la question de la juste relation à Dieu : “L’homme ne vivra pas de pain seulement... Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul ... Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu.”. La citation du diabolos apparaît quant à elle nettement hors-contexte. Plus qu’un schéma à répéter inlassablement : épreuve/verset-massue ou bouclier pour la repousser, il y a là une invitation à entrer dans la cohérence de la révélation biblique et à y trouver le sens de notre vie. Ce pourra être alors un point d’appui solide pour le temps de l’épreuve.

Un mot encore sur le désert, lieu du vide et de la rencontre, étape fondatrice de l’histoire du peuple d’Israel : aux quarante années d’errance répondent les quarante jours d’épreuve de Jésus. Jésus est ainsi désigné comme celui en qui se manifeste la plénitude de l’histoire d’Israel et de sa relation avec Dieu. A l’appui de cela, le fait que les citations-réponses de Jésus soient précisément extraites du livre qui évoque l’issue des quarante années dans le désert. Notons également la valeur symbolique de ce désert. Jésus circule beaucoup dans ce passage, du désert à Jérusalem jusqu’en un lieu où sont visibles tous les royaumes de la terre. Il ne faut manifestement pas s’attacher trop littéralement en tout cas à la géographie de ce passage et simplement comprendre qu’elle indique en Jésus le messie attendu.

Première conclusion qui se résumera en une question : pourquoi les évangélistes ont-ils pris le soin de nous rapporter ce mystérieux récit qui ne dépend d’aucun témoignage oculaire et s’apparente assez peu dans sa structure-même à un récit historique ? En un mot : que nous sert-il de croire en un messie tenté ? Je m’efforcerai de répondre à cette question par une confession de foi en trois points.

Je crois que Jésus a vécu une vie pleinement humaine. En lui, Dieu rejoint la fragilité de notre existence. Souvent comme je l’ai dit, on a tiré de ce passage des règles relatives à nos épreuves. L’accent de ce texte est différent : dans une tentation qui lui est tout à fait spécifique et ne peut nous être appliquée, Jésus se fait proche de notre mode d’existence soumis parfois à la précarité, à l’épreuve, à la remise en cause. C’est aussi sur ce point qu’insiste l’auteur de l’épître aux Hébreux lorsqu’il affirme dans son admirable méditation sur le Fils de Dieu qu’”il a été tenté comme nous en toutes choses”.

Je crois que Jésus me rejoint dans le service. Jésus refuse la toute-puissance en rejetant les deux manifestations de puissance que sont les miracles suggérés par le tentateur et surtout l’offre qui lui est faite d’un règne universel. En refusant de se mettre à la solde du diviseur, Jésus réaffirme que sont conjoints son intimité avec le Père et son service des hommes. Il est venu non pour être servi ou pour se servir mais pour servir.

Je crois que Jésus est notre libérateur parce qu’il est lui-même souverainement libre. Je crois en ce Jésus que les hommes ne peuvent manipuler pour provoquer du miracle, cautionner un pouvoir ou agrémenter un spectacle. Ceci ne veut pas dire que j’exclus a priori que la puissance libératrice, restauratrice, renouvelante de Jésus se manifeste dans nos vies. L’Evangile reste puissance pour le salut de quiconque croit et nous l’avons tous expérimenté d’un manière ou d’une autre. Mais je crois en un Jésus homme et serviteur, accessible et pourtant hors de nos calculs et de nos tentatives de récupération.

Je reprendai à Nikos Kazantstakis le titre de son roman La dernière tentation du Christ pour établir un parallèle entre ce récit et la prédication du messie crucifié qui est le coeur de l’Evangile. A la spécificité de la tentation de Jésus répond le caractère tout à fait unique de la mort du Christ. Dans l’abaissement de la croix culmine la révélation de l’humanité de Jésus et il nous rejoint en ce lieu où se concentrent toute notre souffrance et toutes nos angoisses humaines. A la croix, Jésus se révèle sous les traits du serviteur souffrant. A la croix éclate la grâcieuse liberté de Jésus qui donne sa vie de lui-même.

Deuxième conclusion provisoire qui vous proposera en guise d’accompagnement de cette journée d’assemblée générale quelques pistes de réflexion. Il me semble qu’une assemblée générale se donne au moins trois objectifs :

- réaffirmer les priorités

- faire le bilan de ce qui a été vécu

- poser les fondations spirituelles et le sens de la multitude d’activités qui sont entreprises

Voici donc quelques prolongements lointains de ce texte pour ce jour particulier.

Quant au choix des priorités, ma question sera à la fois personnelle et communautaire. Une communauté chrétienne - même la plus institutionnelle, la plus structurée qui soit - ne sera jamais rien d’autre que ce qu’en font l’action conjuguée de ses membres et de l’Esprit de Dieu à l’oeuvre en eux et parmi eux. Le texte médité ce matin nous présente un Jésus qui choisit de se faire serviteur sans pour autant s’assujettir à qui ou quoi que ce soit. En examinant vos choix en ce jour, veillez-vous à ce que cette priorité du service demeure ? Trop souvent, l’Eglise l’a oublié dans l’histoire ; trop souvent, nous trouvons à nos engagements des motivations plus complexes que cette option prioritaire du service.

La relecture de notre vécu et plus particulièrement des moments difficiles que nous avons traversés - moments qui ont parfois des prolongements jusqu’à aujourd’hui - peut être une expérience très éprouvante. Ma paroisse vient de vivre un de ces moments de lucidité où l’on cherche à tirer du sens d’un bouleversement difficile à vivre. Les chrétiens, parmi beaucoup d’autres, sont souvent sujets à deux faiblesses : s’engouffrer avec une spiritualité douteuse puisque fondée sur l’illusion dans une fuite de la réalité ; ou alors exclure Dieu du champ d’une expérience devenue trop insupportable pour pouvoir le contenir. J’aime l’exemple de réalisme spirituel que donne Jésus : un réalisme qui sait tout à la fois voir avec lucidité l’authenticité de la souffrance, du manque, de la douleur et accueillir avec reconnaissance la présence même difficilement perceptible de Dieu dans cette épreuve. Je vous suggérerais de donner ce matin à vos bilans même les plus lourds la tonalité particulière de la louange. Pas la pseudo-louange qui repose sur le fantasme ou l’autosuggestion mais la paisible affirmation de la réalité de Dieu : “ Merci parce que dans ce temps d’épreuve, tu as été avec moi, merci parce que tu m’as permis de te dire mes peurs, mes fardeaux, mes doutes”.

Un dernier mot sur  la Bible. Beaucoup d'entre nous avons un rapport étrange avec elle. Quand nous nous en approchons pour la première fois, elle nous déconcerte ; ceux d’entre nous qui l’ont fréquentée de plus près savent qu’elle a souvent été utilisée comme une arme contre nous, martelant notre culpabilité, notre condamnation, notre rejet. Je me souviens d’une amie à laquelle une personne bien pensante avait dit : “Impure comme tu es, tu devrais porter le nom de Marie-Madeleine”.Difficile de combler le fossé entre cette amie et la Bible, entre cette amie et un Dieu qui l’aime. Pour l’aider à retrouver la place dont elle me semblait aliénée, je l’ai renvoyée vers le texte biblique, lui disant : “ Je pense que la lecture de ton juge est erronée. Si elle examinait les Evangiles de plus près, elle comprendrait que le personnage de Marie-Madeleine est le moyen par lequel le Nouveau Testament nous fait comprendre qu’il n’y a pas d’impur aux yeux de Jésus”. C’est notre vocation de témoigner de l’amour de Dieu ; c’est notre vocation de chrétiens de dire la visibilité de cet amour en Jésus de Nazareth. Et le plus formidable des outils qui nous soit donné pour le comprendre nous-mêmes et le faire ensuite comprendre à d’autres est cette Bible. Sachons comme Jésus entrer dans la cohérence de l’Esprit qui vivifie et non de la lettre qui tue pour que ce texte qui nous a été confisqué ou nous est demeuré étranger redevienne la source de notre espérance et de notre foi.

Que le Seigneur vous bénisse en ce jour d’assemblée générale.

 Amen

Jean Vilbas, méditation apportée au Centre du Christ Libérateur de Paris le 4 mars 2001jesus_tempted

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